Le projet de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe, auquel je souscris sans réserve, remet l’adoption sur le devant de l’actualité. Pour avoir conduit la réforme de l’adoption internationale du rapport Colombani, reconstruit l’Autorité centrale de l’adoption internationale, inventé le réseau des Volontaires de la protection de l’enfance et de l’adoption internationale, je tiens à porter au débat quelques idées à l’encontre de lieux communs ou contre-vérités assénés ces derniers mois.
Ouvrir l’adoption aux couples homosexuels n’atteint pas les droits de l’enfant.
La Convention internationale des droits de l’enfant ne fait pas mention de la nécessité de parents de sexe opposé et l’adoption en tant que telle est une institution de protection de l’enfance. Elargir l’accès des enfants à l’adoption renforce bel et bien leur droit à la protection. C’est le droit de chacun d’avoir la conviction qu’un couple homosexuel ne peut pas faire famille. Mais c’est instrumentaliser les enfants que de maquiller cette opinion personnelle en atteinte à leurs droits. Surtout lorsque ces droits sont inventés de toutes pièces au détriment de ceux qui existent bel et bien. Où étaient ces zélés défenseurs lorsque les droits de l’enfant subissaient de véritables atteintes : Arche de Zoé, collectifs de pression pour régulariser des adoptions internationales irrégulières, rapatriement d’enfants haïtiens encore non adoptés au motif du séisme de 2010 ? Nulle part. Au contraire, le discours dominant a systématiquement été de verser une larme sur ces pauvres enfants victimes de la cruauté des institutions qui tentaient, justement, de faire respecter les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant. En matière de droits de l’enfant, il n’y a pas deux poids deux mesures. Et ceux qui les invoquent aujourd’hui pour justifier leur rejet de la famille homosexuelle se réveillent bien tard. Ils auraient été mieux inspirés de se mobiliser face à des faits réels. On n’en a pas manqué ces dernières années. On ne peut pas plus prétendre défendre les droits de l’enfant et rejeter ce qui apportera une solution aux 50 000 à 400 000 d’entre eux vivant d’ores et déjà en France au sein de familles homoparentales. Les droits de l’enfant sont aussi au cœur de l’accompagnement puis du suivi des projets d’adoption. Non exempt de défauts, le dispositif français existe et fonctionne et il est profondément injuste de nier ou occulter sa capacité à intégrer chaque particularité familiale, sauf à considérer que les opinions des adultes qui le font priment sur l’intérêt des enfants pour qui ils interviennent et mettre en doute leur qualité et leur intégrité professionnelles. Enfin, si l’adoption par les couples homosexuels signifiait un « droit à l’enfant » pour ces derniers, au nom de quoi il n’en serait pas de même pour l’adoption par les couples hétérosexuels ou les célibataires ? Affirmer cela, c’est remettre en cause toute l’institution de l’adoption.
Ouvrir l’adoption aux couples homosexuels ne pénalisera pas l’adoption internationale.
Certains ont agité la peur de voir les pays d’origine des enfants pénaliser la France dans le traitement des dossiers d’adoption au motif qu’elle permettrait mariage et adoption par les couples homosexuels quand leur culture locale y est opposée. Cette affirmation démontre une méconnaissance des questions relatives à l’adoption internationale. Elle ne se fonde sur aucune réalité, la France est connue pour son combat international en faveur de l’égalité des droits quelle que soit l’orientation sexuelle, encore récemment affirmé par le président de la République à l’Assemblée générale des Nations unies. Les pays d’origine ne l’ignorent évidemment pas. En réalité, si de tels faits discriminatoires voyaient le jour dans des pays d’origine, ce n’est pas l’égalité des droits en France qui en serait la cause, mais bien la dégradation de notre dispositif d’adoption internationale, qui n’est plus, depuis longtemps, adapté à ses enjeux actuels. La capacité française à porter ses projets familiaux dans les pays d’origine tient à un ensemble complexe de relations avec ces pays. Elle est très faible. Il manque une véritable stratégie de terrain, une diplomatie de l’adoption internationale. Pour mieux adopter, la France doit savoir accompagner les pays d’origine à avoir moins besoin d’adoption. C’est le cœur même des principes généraux des droits de l’enfant.
Penser en priorité à l’enfant, c’est porter les efforts sur la rénovation de notre dispositif d’adoption et non sur des débats idéologiques stériles.
C’est à ce prix que les droits de l’enfant seront renforcés et que les adultes porteurs de projets familiaux ne seront pas discriminés. C’est une action de long terme qui engage tous les acteurs publics et privés de la protection de l’enfance. Développer l’accompagnement amont et aval des projets familiaux et rénover notre dispositif d’adoption internationale sont les deux urgences. Sans cesse repoussée, l’opportunité est offerte aujourd’hui de les engager. Si elle ne relève pas stricto sensu du projet de loi proposé par le gouvernement, c’est un de ses grands avantages de la remettre d’actualité. Pour les enfants.
(Article publié dans Libération du 15 novembre 2012)
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