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Propos à l’occasion de l’élévation du grade d’officier de l’Ordre national du mérite

Juin 25, 2012 | 0 commentaires

Mon­sieur le Pré­sident du Centre Pom­pi­dou, cher Alain,
Cher Gérard Unger,
Cher amis,

Je veux dédier cette céré­mo­nie à la mémoire de mon père qui nous a quit­tés il y a un peu moins de deux ans désor­mais. Quelques jours avant son décès, fidèle à son habi­tude, il avait décou­pé et anno­té un article sur l’anniversaire du débar­que­ment en Pro­vence, le 15 août 1944, et ces contin­gents dits « afri­cains » qui ont contri­bué à la libé­ra­tion. Par­fois, mon père nous envoyait à mon frère ou moi ces articles anno­tés, la plu­part du temps lorsqu’ils avaient quelque chose à voir de près ou de loin avec notre par­cours pro­fes­sion­nel. Je ne sais pas s’il avait l’intention de nous envoyer celui-ci. C’était le der­nier de la pile. Il n’y en a plus eu d’autre. Sans réflé­chir, atta­ché à cette mémoire d’un geste rituel, je l’ai pris avec moi lorsque je suis arri­vé sur les lieux où il venait de s’éteindre.

Cet article, conscien­ceu­se­ment décou­pé pour tenir, col­lé, sur une feuille A4, orne désor­mais mon foyer. Il est la vie de mon père et je le regarde sou­vent, la plu­part du temps sans rai­son, juste pour ima­gi­ner … C’est en pen­sant à la fier­té qu’aurait eu mon père d’être par­mi nous ce soir que je l’ai encore regar­dé ces der­nières semaines. Et une anno­ta­tion carac­té­ris­tique m’a frap­pé. Alors que l’article, signé de Michel Rous­sin, indi­quait que la France « doit main­te­nir son effort de soli­da­ri­té » avec ces sol­dats « afri­cains », mon père avait sou­li­gné la phrase et ins­crit à la marge « com­ment ? ».

Par cette simple ques­tion, j’ai com­pris à quel point les valeurs de mon père avaient for­gé l’adulte que je suis deve­nu, qui est devant vous aujourd’hui. Bien enten­du l’intention compte, mais celle-ci n’est rien sans la réa­li­sa­tion. Mon père ne pro­fes­sait pas, il témoi­gnait par ses actes. C’était un homme heu­reux. C’était un homme bon. Ce « com­ment », en réa­li­té, a gui­dé tout mon par­cours pro­fes­sion­nel entiè­re­ment consa­cré à la mise en œuvre de pro­jets sou­vent impro­bables, mais qui ont tous eu en com­mun de s’ancrer dans le réel, de ne pas res­ter de seules bonnes inten­tions ou belles idées. C’est une très grande chance qui m’a été don­née de pou­voir suivre une telle voie. Cela n’a jamais été seul. Je vois par­mi vous quelques visages dont je suis très heu­reux qu’ils soient ici mais dont je ne peux m’empêcher de pen­ser qu’ils sont peut-être – aus­si – venus dans l’espoir de gla­ner une ou plu­sieurs infor­ma­tions crous­tillantes sur l’Hadopi tant cette ins­ti­tu­tion recèle de poten­tiel média­tique ! Si tel était le cas, ils seront déçus ! Même le buf­fet qui nous attend n’a pas de croustillants.

Quant à moi, de l’Hadopi qui est sans aucun doute la prin­ci­pale rai­son de cette dis­tinc­tion, je ne sou­li­gne­rai ce soir que l’extraordinaire aven­ture humaine qu’elle consti­tue. C’est d’abord la très grande richesse de la confiance que m’a accor­dée la pré­si­dente Marie-Fran­çoise Marais, en choi­sis­sant de me char­ger du pro­jet qu’elle avait pour l’institution. En deux ans, je n’ai jamais eu l’occasion de le regret­ter, j’espère qu’il en est de même pour elle ! C’est éga­le­ment la patience et l’affection de Mireille Imbert-Qua­ret­ta, qui pré­side aux des­ti­nées de la très fameuse « réponse gra­duée » au sein de l’institution. Je les remer­cie toutes les deux pour leur appui et leur bien­veillance à mon égard.

Avec les membres du col­lège et de la com­mis­sion de pro­tec­tion des droits, elles m’ont per­mis d’agir sous la direc­tion d’une gou­ver­nance exi­geante et éclai­rée pour la conduite à bien de cette mis­sion, la plus déli­cate de toutes celles que j’ai prises en charge. C’est un bien précieux.

C’est enfin l’énorme poten­tiel d’une équipe riche et diver­si­fiée, mul­ti­forme, bour­rée de talents, se dépen­sant sans comp­ter pour faire sor­tir de terre et sta­bi­li­ser l’activité de l’institution, dans un contexte jamais serein, sou­vent irra­tion­nel. Je tiens à expri­mer tout le res­pect que j’ai pour son tra­vail et son enga­ge­ment sans faille. C’est eux qui ont fait l’Hadopi et ils sont plus d’un à s’être retrou­vés, à cette occa­sion, en res­pon­sa­bi­li­té à un âge où on col­lec­tionne encore les stages « machine à café ».

La chance qui m’a été don­née c’est de pou­voir aller au bout de mes rêves. Je suis pro­fon­dé­ment heu­reux de pou­voir, désor­mais, à mon tour don­ner de telles chances à des talents épars réunis pour rele­ver un défi.

Une autre valeur a gui­dé mon par­cours et je la dois à ma famille. Il s’agit de la tolé­rance, de l’amour de l’autre, que tra­duit bien cette maxime très connue de Saint Exu­pé­ry que j’ai fini par savoir par cœur : « Si tu dif­fères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’en­ri­chis ». Cette leçon, je l’ai apprise de la fas­ci­nante géo­gra­phie familiale.

Le 13 mai 1889, mon arrière grand-père mater­nel, Isaac Abdul­lah Scha­masch, négo­ciant juif né à Bag­dad, obte­nait de la Sublime Porte le droit d’adopter la natio­na­li­té française.

Aujourd’hui, 123 ans et quelques semaines après, la répu­blique fran­çaise me dis­tingue. Tout un sym­bole que je veux offrir à ma mère qui peut être fière tout à la fois de son ascen­dance et de sa des­cen­dance. Cha­cun à notre façon, mon frère et moi avons pris la relève, et une par­tie de cette relève a de très jolis pré­noms : Fré­dé­ric, Del­phine, Gré­goire, Clé­ment, et même une petite Agnès qui vient d’arriver !

Ce n’est que très tard que j’ai com­pris l’ouverture au monde que m’avait don­née ces ori­gines mélan­gées, de l’empire Otto­man à l’Alsace cou­ra­geuse, incar­nées par mes parents et leur géné­ro­si­té à fleur de peau. Puis Ana est entrée dans ma vie, et le Gua­te­ma­la est venu s’ajouter à cette geste géo­gra­phique. Avec ses parents, José Car­rillo Viel­man et Hor­ten­sia de Car­rillo, j’ai décou­vert d’autres valeurs, d’autres hori­zons, d’autres vies. Voi­là 15 ans désor­mais que ces « ailleurs » accom­pagnent mon quo­ti­dien, sous le regard vigi­lant d’Ana qui excelle dans l’exercice dif­fi­cile de me rap­pe­ler régu­liè­re­ment à cer­taines réa­li­tés. Ana n’aime pas qu’on parle d’elle en public, c’est donc pour moi une très bonne rai­son de le faire à nou­veau ! Elle est l’unique. Par­cou­rir le monde pour aller à la ren­contre de la dif­fé­rence n’est pas qu’une vue de l’esprit. Je n’ai jamais man­qué une occa­sion de m’échapper de l’hexagone et le Gua­te­ma­la est deve­nu un peu ma 2nde patrie. Mais ce sont sur­tout les 2 ans pas­sés au Quai d’Orsay et la chance de pou­voir pilo­ter la réforme de l’adoption inter­na­tio­nale qui m’ont per­mis d’aller plus loin dans la connais­sance de ces autres qui vivent loin de nous et que nous igno­rons géné­ra­le­ment super­be­ment ! Ces expé­riences ne se décrivent pas, elles se vivent. Désor­mais c’est un lien très fort qui m’attache à ces asso­cia­tions, fran­çaises ou locales, enga­gées sur le ter­rain de la soli­da­ri­té et de la pro­tec­tion inter­na­tio­nale de l’enfance. Nous avons dépla­cé des mon­tagnes au Cam­bodge, et posé de sérieux jalons en Ethio­pie, en Haï­ti, à Mada­gas­car, en Inde, au Viet­nam. Celles et ceux qui sont ici et ont vécu avec moi ces pro­jets savent tout ce que je leur dois, et tout ce qui reste encore à faire, dans un contexte d’autant plus dif­fi­cile que les cré­dits se font rares à l’heure où les besoins se mul­ti­plient. Mais je n’en dirai pas plus, sinon on va encore dire que je pré­pare pro­gres­si­ve­ment ma sor­tie de l’Hadopi pour rejoindre une mys­té­rieuse acti­vi­té humanitaire !

Il y a 8 ans, c’est vous Gérard qui m’avez remis les insignes de che­va­lier dans l’Ordre natio­nal du mérite. Et c’était dans tes murs, Alain, à la Direc­tion du déve­lop­pe­ment des médias. Je m’en sou­viens. Emu par l’honneur qui m’était fait, j’avais retra­cé des pans entiers de ma vie ten­tant d’illustrer les che­mins sou­vent aty­piques qu’elle avait emprun­té pour m’amener à rece­voir cette dis­tinc­tion. Ces che­mins étaient ceux de l’amitié, de la loyau­té, du tra­vail et de la pour­suite d’un idéal humain et répu­bli­cain. La liste est longue de ceux qui m’ont accom­pa­gné, à com­men­cer par mon ami Laurent Kup­fer­man, tou­jours pré­sent, tou­jours fidèle. Et voi­là que nous sommes à nou­veau réunis, non plus à la DDM mais dans le pres­ti­gieux Centre Pom­pi­dou que tu pré­sides, cher Alain, avec cette pas­sion, cet achar­ne­ment au tra­vail et ce sens de l’intérêt géné­ral qui ont fait par­tie des grandes leçons que tu m’as enseignées !

Lorsque je me retourne et regarde le che­min par­cou­ru, je pense à une maxime d’Epictète décou­verte au hasard d’un livre offert par une amie chère : « n’attends pas que les évé­ne­ments arrivent comme tu le sou­haites ; décide de vou­loir ce qui arrive et tu seras heu­reux ». Je n’ai évi­dem­ment pas déci­dé de vou­loir être éle­vé au grade d’officier dans l’Ordre Natio­nal du Mérite, ce qui aurait d’ailleurs sin­gu­liè­re­ment man­qué de modes­tie, mais j’ai vou­lu méri­ter les chances qui m’ont été don­nées. Mon plus grand bon­heur aujourd’hui est de pou­voir vous en dire mer­ci à tous, et d’être désor­mais en mesure de les rendre, à d’autres qui, comme moi hier, ont entre 20 et 30 ans aujourd’hui et débutent dans la vie active armés d’une éner­gie bouillon­nante qui per­met de fon­der tous les espoirs pour notre ave­nir. Je vous remercie.

25 juin 2012

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