A force de lire les tribunes des uns et des autres, on finirait par y croire : c’est la fin de l’utopie numérique, la mort de l’Internet collaboratif, le déclin du village global au profit des megacorps planétaires. Nous nous « sommes trompés de bonne foi », la « longue traîne » n’était qu’utopie, « l’autorégulation du temps des pionniers n’est plus de mise », « notre mai 1968 numérique est devenu un grille-pain fasciste » : ce ne sont là que quelques-uns des titres récents.
N’en jetez plus, la coupe est pleine : l’hypercentralisation des géants du Web est irrémédiable. C’est foutu, c’est trop tard et on va tous mourir. Les gourous du Net se découvrent tout d’un coup docteurs Frankenstein, créateurs incompétents d’un monstre devenu incontrôlable.
Tout ceci manque – peut-être – d’un peu de recul.
Internet est né des Trente Glorieuses, imaginé par des hippies barbus à une époque qui rêvait de voyages interplanétaires et de voitures volantes. A une époque où l’énergie ne coûtait rien. Une époque qui vit apparaître des mouvements pacifistes massifs, où l’on rêvait d’un monde meilleur, de fraternité, de main tendue vers l’autre, de liberté de vivre, de choisir.
Le journal Libération naissait.
Aujourd’hui, les guerres ne provoquent plus de protestations massives. Les crises durables (économiques, sociales, politiques, environnementales) nous enferment dans un pessimisme ambiant délétère. On n’a pas le temps, pas l’envie d’inventer de nouveaux avenirs, quand le présent est si pesant.
Le journal Libération doit devenir un réseau social.
On a perdu la route d’Ithaque.
L’aveuglement.
On peut se flageller en place publique, avouer notre impuissance, dérouler le tapis rouge à plus de régulation, de contraintes pour combattre ces ennemis hypercentralisés et aspirateurs de biens et de libertés.
C’est très à la mode. 20
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