Dans le maelström des débats autour de l’ouverture du droit au mariage aux couples de même sexe l’adoption s’est retrouvée otage de postures idéologiques fondées sur le rejet par ceux qui les tiennent de la possibilité pour un enfant de grandir et s’épanouir au sein de tels foyers.
À l’heure où un pas décisif vient d’être franchi par la représentation nationale, il n’est pas utile de revenir longuement sur la contre-vérité qu’est l’invocation des droits de l’enfant pour justifier ces postures qui nient son droit fondamental « pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité » à « grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension » aux termes de la convention internationale des droits de l’enfant, laquelle ne se prononce pas sur la forme du milieu familial.
Il n’est pas plus utile de s’interroger sur la pertinence de ces postures qui portent un jugement brutal sur la qualité des familles homoparentales et, plus généralement, des familles dont la filiation ne repose pas sur la procréation sexuée. Leurs tenants ont pris une lourde responsabilité. Des propos graves, infondés et souvent choquants ont été publiquement tenus, stigmatisant ces familles, leurs enfants, et faisant d’elles les boucs émissaires de la parentalité non biologique. On oublie que, au delà des enfants vivant dans des familles homoparentales, ce sont tous les enfants adoptés qui sont concernés et on ne s’y prendrait pas autrement si l’on voulait en faire des citoyens de seconde zone.
Il faut donc tenter à nouveau de replacer ces débats du seul point de vue des enfants et de leur avenir, détricoter les amalgames qui ont saturé le débat public, et substituer la réalité aux fantasmes. Parce que ce n’est plus au rejet du mariage des couples homosexuels auquel on assiste aujourd’hui, c’est bel et bien à la diabolisation sournoise de l’adoption plénière.
Il existe en France depuis 1966 deux formes d’adoption, simple et plénière. La simple permet de faire coexister deux liens de filiation, la plénière substitue une nouvelle filiation à la première. Dans les faits, elle offre à l’enfant une filiation non biologique en lieu et place de sa filiation d’origine, défaillante pour une quelque raison. L’adopté plénier n’a que un à deux parents, au sens de ceux qui l’inscrivent dans le passé et le futur d’une filiation, l’adopté simple aura toujours plus de deux parents.
L’idée de limiter l’adoption par les couples homosexuels à la forme simple est discriminante, et créatrice d’une hiérarchie entre ces deux formes d’adoption : ce n’est pas la nature du foyer adoptant qui détermine le choix de la forme d’adoption, ce sont exclusivement les besoins de l’enfant concerné. Affirmer le contraire revient à penser en fonction des adultes et inverse l’ordre des priorités de la convention internationale des droits de l’enfant.
Mariés, les couples homosexuels pourront indifféremment, à l’instar des personnes hétérosexuelles, adopter en la forme simple ou plénière. Ce choix se détermine exclusivement à partir de l’histoire de l’enfant, selon qu’il est français ou non, orphelin ou non, enfant biologique de l’un des membres du couple ou non, etc. Le choix de l’adoption plénière répond au besoin d’apporter à l’enfant la protection d’une entrée définitive dans une famille. C’est notamment la forme la plus adaptée à l’adoption internationale, conforme aux termes de la convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale dont la France est signataire.
On a voulu faire croire que, parce qu’elle rompt de manière définitive le lien de filiation biologique, l’adoption plénière faisait irrémédiablement obstacle à la connaissance par l’enfant de ses origines. C’est faux. La réalité c’est que la rupture du lien de filiation n’entraîne pas l’effacement de l’histoire de l’enfant, dont la mémoire se conserve notamment dans l’acte de naissance, le jugement d’adoption, les archives des intermédiaires et institutions en ayant eu la responsabilité, jusqu’à sa famille d’origine si tant est que celle-ci ait pu ou souhaité la conserver.
En France, aujourd’hui, les personnes adoptées s’interrogent sur leur filiation d’origine, et, pour certaines, ont déjà entrepris des démarches de recherche. Connaître ses origines est un droit inaliénable et relève de la plus stricte intimité des personnes concernées. Les difficultés que certains peuvent rencontrer sont bien réelles, mais n’ont rien à voir avec la forme d’adoption.
On comprend que ceux pour qui il ne saurait y avoir d’autre parentalité que hétérosexuée aient besoin d’agiter toutes sortes de peurs pour défendre leurs convictions. On comprend moins qu’ils aillent jusqu’à mettre en péril des régimes de droit aussi protecteurs que l’adoption plénière. Il est temps de revenir à plus de lucidité. Oui, le dispositif français d’adoption a besoin d’être modernisé. Oui, les possibilités pour les personnes adoptées d’accéder à leurs origines doivent être mieux accompagnées mais non, l’adoption plénière ne doit pas être remise en question. Bien au contraire. Elle est le socle essentiel à la reconstruction d’une histoire trop vite interrompue. Penser aux enfants ce n’est pas porter un jugement de valeur sur les adultes qui leur offrent une famille. Penser aux enfants, c’est leur permettre à tous, sans distinction, d’accéder au statut qui répond le mieux à leur besoin, y compris le plus protecteur d’entre eux, l’adoption plénière.
(Tribune publiée dans le Huffpost le 12 avril 2013 – cosignée avec Nicolas Gougain et Mathieu Nocent de l’Inter LGBT, Cécile Février, Hélène Charbonnier et Ivann Lamy du Conseil National des Adoptés)
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