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Adoption plénière et accès aux origines : arrêtons les amalgames

Avr 12, 2013 | 0 commentaires

Dans le mael­ström des débats autour de l’ou­ver­ture du droit au mariage aux couples de même sexe l’a­dop­tion s’est retrou­vée otage de pos­tures idéo­lo­giques fon­dées sur le rejet par ceux qui les tiennent de la pos­si­bi­li­té pour un enfant de gran­dir et s’é­pa­nouir au sein de tels foyers.

 

À l’heure où un pas déci­sif vient d’être fran­chi par la repré­sen­ta­tion natio­nale, il n’est pas utile de reve­nir lon­gue­ment sur la contre-véri­té qu’est l’in­vo­ca­tion des droits de l’en­fant pour jus­ti­fier ces pos­tures qui nient son droit fon­da­men­tal « pour l’é­pa­nouis­se­ment har­mo­nieux de sa per­son­na­li­té » à « gran­dir dans le milieu fami­lial, dans un cli­mat de bon­heur, d’a­mour et de com­pré­hen­sion » aux termes de la conven­tion inter­na­tio­nale des droits de l’en­fant, laquelle ne se pro­nonce pas sur la forme du milieu familial.

Il n’est pas plus utile de s’in­ter­ro­ger sur la per­ti­nence de ces pos­tures qui portent un juge­ment bru­tal sur la qua­li­té des familles homo­pa­ren­tales et, plus géné­ra­le­ment, des familles dont la filia­tion ne repose pas sur la pro­créa­tion sexuée. Leurs tenants ont pris une lourde res­pon­sa­bi­li­té. Des pro­pos graves, infon­dés et sou­vent cho­quants ont été publi­que­ment tenus, stig­ma­ti­sant ces familles, leurs enfants, et fai­sant d’elles les boucs émis­saires de la paren­ta­li­té non bio­lo­gique. On oublie que, au delà des enfants vivant dans des familles homo­pa­ren­tales, ce sont tous les enfants adop­tés qui sont concer­nés et on ne s’y pren­drait pas autre­ment si l’on vou­lait en faire des citoyens de seconde zone.

Il faut donc ten­ter à nou­veau de repla­cer ces débats du seul point de vue des enfants et de leur ave­nir, détri­co­ter les amal­games qui ont satu­ré le débat public, et sub­sti­tuer la réa­li­té aux fan­tasmes. Parce que ce n’est plus au rejet du mariage des couples homo­sexuels auquel on assiste aujourd’­hui, c’est bel et bien à la dia­bo­li­sa­tion sour­noise de l’a­dop­tion plénière.

Il existe en France depuis 1966 deux formes d’a­dop­tion, simple et plé­nière. La simple per­met de faire coexis­ter deux liens de filia­tion, la plé­nière sub­sti­tue une nou­velle filia­tion à la pre­mière. Dans les faits, elle offre à l’en­fant une filia­tion non bio­lo­gique en lieu et place de sa filia­tion d’o­ri­gine, défaillante pour une quelque rai­son. L’a­dop­té plé­nier n’a que un à deux parents, au sens de ceux qui l’ins­crivent dans le pas­sé et le futur d’une filia­tion, l’a­dop­té simple aura tou­jours plus de deux parents.

L’i­dée de limi­ter l’a­dop­tion par les couples homo­sexuels à la forme simple est dis­cri­mi­nante, et créa­trice d’une hié­rar­chie entre ces deux formes d’a­dop­tion : ce n’est pas la nature du foyer adop­tant qui déter­mine le choix de la forme d’a­dop­tion, ce sont exclu­si­ve­ment les besoins de l’en­fant concer­né. Affir­mer le contraire revient à pen­ser en fonc­tion des adultes et inverse l’ordre des prio­ri­tés de la conven­tion inter­na­tio­nale des droits de l’enfant.

Mariés, les couples homo­sexuels pour­ront indif­fé­rem­ment, à l’ins­tar des per­sonnes hété­ro­sexuelles, adop­ter en la forme simple ou plé­nière. Ce choix se déter­mine exclu­si­ve­ment à par­tir de l’his­toire de l’en­fant, selon qu’il est fran­çais ou non, orphe­lin ou non, enfant bio­lo­gique de l’un des membres du couple ou non, etc. Le choix de l’a­dop­tion plé­nière répond au besoin d’ap­por­ter à l’en­fant la pro­tec­tion d’une entrée défi­ni­tive dans une famille. C’est notam­ment la forme la plus adap­tée à l’a­dop­tion inter­na­tio­nale, conforme aux termes de la conven­tion du 29 mai 1993 sur la pro­tec­tion des enfants et la coopé­ra­tion en matière d’a­dop­tion inter­na­tio­nale dont la France est signataire.

On a vou­lu faire croire que, parce qu’elle rompt de manière défi­ni­tive le lien de filia­tion bio­lo­gique, l’a­dop­tion plé­nière fai­sait irré­mé­dia­ble­ment obs­tacle à la connais­sance par l’en­fant de ses ori­gines. C’est faux. La réa­li­té c’est que la rup­ture du lien de filia­tion n’en­traîne pas l’ef­fa­ce­ment de l’his­toire de l’en­fant, dont la mémoire se conserve notam­ment dans l’acte de nais­sance, le juge­ment d’a­dop­tion, les archives des inter­mé­diaires et ins­ti­tu­tions en ayant eu la res­pon­sa­bi­li­té, jus­qu’à sa famille d’o­ri­gine si tant est que celle-ci ait pu ou sou­hai­té la conserver.

En France, aujourd’­hui, les per­sonnes adop­tées s’in­ter­rogent sur leur filia­tion d’o­ri­gine, et, pour cer­taines, ont déjà entre­pris des démarches de recherche. Connaître ses ori­gines est un droit inalié­nable et relève de la plus stricte inti­mi­té des per­sonnes concer­nées. Les dif­fi­cul­tés que cer­tains peuvent ren­con­trer sont bien réelles, mais n’ont rien à voir avec la forme d’adoption.

On com­prend que ceux pour qui il ne sau­rait y avoir d’autre paren­ta­li­té que hété­ro­sexuée aient besoin d’a­gi­ter toutes sortes de peurs pour défendre leurs convic­tions. On com­prend moins qu’ils aillent jus­qu’à mettre en péril des régimes de droit aus­si pro­tec­teurs que l’a­dop­tion plé­nière. Il est temps de reve­nir à plus de luci­di­té. Oui, le dis­po­si­tif fran­çais d’a­dop­tion a besoin d’être moder­ni­sé. Oui, les pos­si­bi­li­tés pour les per­sonnes adop­tées d’ac­cé­der à leurs ori­gines doivent être mieux accom­pa­gnées mais non, l’a­dop­tion plé­nière ne doit pas être remise en ques­tion. Bien au contraire. Elle est le socle essen­tiel à la recons­truc­tion d’une his­toire trop vite inter­rom­pue. Pen­ser aux enfants ce n’est pas por­ter un juge­ment de valeur sur les adultes qui leur offrent une famille. Pen­ser aux enfants, c’est leur per­mettre à tous, sans dis­tinc­tion, d’ac­cé­der au sta­tut qui répond le mieux à leur besoin, y com­pris le plus pro­tec­teur d’entre eux, l’a­dop­tion plénière.

(Tri­bune publiée dans le Huff­post le 12 avril 2013 – cosi­gnée avec Nico­las Gou­gain et Mathieu Nocent de l’Inter LGBT, Cécile Février, Hélène Char­bon­nier et Ivann Lamy du Conseil Natio­nal des Adop­tés)

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