Plus de 3 ans après sa parution, j’ai eu envie d’écrire sur l’ouvrage de Julie Maroh tant a été forte sa puissance émotionnelle lorsque je l’ai lu, le découvrant au détour de la palme d’or dont a été récompensée son adaptation cinématographique. J’ai eu envie d’écrire dessus aussi parce que ce qu’il raconte illustre des vies que j’ai croisées et pour lesquelles j’ai le plus profond respect et une très grande affection.
Dans la grande tradition du romantisme, Julie Maroh dépeint avec une extrême délicatesse et par touches successives l’amour qui unit deux êtres, plus exactement qui s’impose à eux, les bouscule, les réunit, les sépare, les réunit à nouveau pour s’inscrire dans une forme d’éternité que symbolise la denière image du livre, la mer et, au delà, l’horizon. La même délicatesse préside à l’évocation des corps qui traverse le livre, frémissante de sensualité sans jamais glisser au delà, quand bien même s’agirait-il d’étreintes ou d’orgasmes.
Où le livre devient, de mon point de vue, presque un chef d’oeuvre, c’est lorsqu’on réalise que, parce que ce scénario « classique » est appliqué à deux femmes, il nous emmène naturellement à considérer l’absolue similitude des sentiments homosexuels ou hétérosexuels. En réalité, on n’y pense même pas, et c’est là – je crois – une de ses grandes forces. Loin de l’oeuvre militante, c’est une oeuvre humaine, qui parle d’êtres humains et d’amour, et ne les distingue pas selon leur sexualité.
On dira, et je l’accepterai bien volontiers, que je ne suis pas objectif sur ce sujet, ayant moi-même tenté d’apporter ma pierre à l’édifice du « mariage pour tous » pendant les débats souvent violents qui ont précédé l’adoption de cette loi. C’est sans importance. Je ne parle ici que de mon ressenti personnel.
Mais Julie Maroh va encore plus loin. Le fil conducteur qui déroule le scénario central de l’amour entre ses deux héroïnes est traversé en permanence d’une violence qui va bien au delà de celle qui peut s’associer à l’expression d’un amour romantique (bien présente au travers des « crises » que traversent les couples des héroïnes : « parce que c’est tout ce que tu es : un plan cul ! »).
Celle que le livre dépeint et met en exergue est à la fois la violence intérieure d’une adolescente confrontée à la découverte de son homosexualité, qu’elle se refuse à admettre avant de se rendre à l’évidence, celle de l’entourage, à commencer par la famille, qui porte un regard accusateur et durement stigmatisant, et celles de l’obligation faite aux adolescents et adultes homosexuels de devoir composer en permanence avec ce regard ominiprésent dans la société (« y’a deux gars au comptoir qui nous matent bizarrement. J’crois qu’il vaut mieux partir »).
En contrepoint de cette violence, de légères touches d’humanité atténuent le côté sombre de la description. On pense à l’ami gay de l’une des deux héroïnes, qui en semble hors d’atteinte, aux parents de l’autre héroïne, ou surtout à la « rédemption » de la mère qui, après avoir littéralement jeté sa fille hors du foyer familial, en devient à la fin, par amour pour elle, le messager et la défenseure auprès de son mari. Il faut comparer le rictus effaré qu’elle a lorsqu’elle découvre l’homosexualité de sa fille, avec la tendresse avec laquelle elle raccompagne sa compagne dans les derniers instants du livre.
Le dessin, justement, illustre à merveille ces différents sentiments qui s’entrecroisent autour des deux héroïnes, jouant entre le choix des couleurs, et le trait parfois caricatural, parfois tendre, souvent incisif, toujours ciselé à l’extrême.
L’oeuvre n’est pas en quadrichromie et chaque couleur a un sens, à commencer par le bleu, couleur des cheveux de l’une des héroïnes au moment de sa rencontre avec celle qui sera l’être aimé, puis la couleur intermédiaire (naturelle ?) lorsque le couple s’installe dans la durée, et enfin couleur de la mer dans laquelle se fond le souvenir de leur amour, et symbolique de l’infini, du divin, du spirituel. Vu la profondeur évidente de l’auteure, je ne serai pas étonné que ce choix de couleur n’ait pas été fait par hasard. Entre toutes ces couleurs signifiantes, le gris et le noir dominent, signes d’une uniformité transpercée par l’amour entre les deux héroïnes.
Dernière pirouette avec les préjugés, le titre évidemment. Ce livre est une invite permanente à interroger les préjugés. Si vous ne l’avez pas encore lu, foncez ! En ce qui me concerne, la première fois que je l’ai lu je n’ai pas honte de dire que j’ai pleuré tant il m’a ému.
J’ai dû, depuis, le relire une quinzaine de fois et il m’émeut toujours autant. Julie Maroh est un très grand talent de notre siècle et l’histoire qu’elle raconte est celle de toutes celles et tous ceux qui découvent l’amour au travers du désir pour le même sexe que le leur. Elle nous dit « quelle importance ? » et elle a mille fois raison. Il n’y en a aucune. Seul l’amour compte. Le bleu est une couleur chaude …
- Le bleu est une couleur chaude, éditions Glénat.
Pour aller plus loin :
- Le site « les coeurs exacerbés » de Julie Maroh, l’auteure ;
- L’histoire au jour le jour du « bleu est une couleur chaude » sur le blog de l’auteure ;
- L’association « Le Refuge » qui propose un hébergement temporaire et un accompagnement social et psychologique à des jeunes majeurs, garçons et filles, victimes d’homophobie, en rupture familiale. Ils ont besoin de votre aide ;
- L’association « SOS Homophobie » qui lutte contre les violences et les discriminations envers les personnes lesbiennes, gays, bi et trans ;
- La bande-dessinée « PROJET 17 MAI » : 40 dessinateurs (dont Julie Maroh) contre l’homophobie (au profit de SOS homophobie ) ;
- Mes tribunes : dans Libération « adoption pour tous, les droits de l’enfant ne sont pas menacés » et sur le Huffington Post, « Adoption plénière et accès aux origines : arrêtons les amalgames », en cosignature avec Nicolas Gougain, Mathieu Nocent et le Conseil national des adoptés.
(Image de couverture reproduite avec l’aimable autorisation des éditions Glénat – Image de l’article extraite de la galerie « carnets – recherches » du site de Julie Maroh avec son aimable autorisation ‑Toute réutilisation est soumise à leur autorisation préalable)
- Chronique publiée sur le site ActuaLitté le 4 octobre 2013. Merci à lui !
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